- INFÉRIORITÉ (SENTIMENT D’)
- INFÉRIORITÉ (SENTIMENT D’)INFÉRIORITÉ SENTIMENT D’Expression qui fut surtout employée par Alfred Adler (Minderwertigkeitsgefühl ) et qu’on pourrait rapprocher de celle de «sentiments d’incomplétude» de Pierre Janet. Pour Adler, le sentiment d’infériorité est fondé sur la réalité: la personne qui l’éprouve est effectivement dans une situation d’infériorité organique ou fonctionnelle. Dans le sentiment ou complexe d’infériorité, l’individu essaie de compenser avec plus ou moins de bonheur cette déficience constitutive. D’une manière plus générale, on pourrait, avec J. M. Sutter, définir un tel sentiment comme l’«impression pénible d’être inférieur à la normale, ou à un idéal désiré, soit dans un secteur déterminé, soit dans tous les domaines» (Manuel alphabétique de psychiatrie ).On rapprochera ce sentiment d’une sorte de masochisme moral, par lequel le sujet savoure, en une espèce de délectation amère, ses insuffisances réelles ou imaginaires, et évoque parfois la malédiction ancestrale ou divine dont il est l’innocente victime (cf. le surmoi réprobateur et vengeur). Pour Adler, les névroses et la plupart des affections mentales, ainsi que la genèse et la formation de la personnalité psychique, s’expliqueraient par le processus mis en œuvre pour réagir contre les infériorités physiques (fonctionnelles, morphologiques, constitutionnelles), si minimes soient-elles, qui apparaissent dans l’enfance. «Le sujet se forge un but final, purement fictif, caractérisé par la volonté de puissance, but final qui [...] attire dans son sillage toutes les forces psychiques» (Le Tempérament nerveux , 1912). À l’encontre de cette conception, Freud a bien souvent rétorqué que les sentiments d’infériorité n’étaient pas déterminés nécessairement par une infériorité organique réelle; de plus, ils ne sont pas, quand ils existent, la raison première, le facteur étiologique fondamental des névroses; bien au contraire, il faut les comprendre et les interpréter comme une conséquence, un symptôme d’autre chose. Les fantasmes de castration, par exemple, peuvent engendrer un sentiment d’infériorité, l’impression paralysante de n’être pas aimé.On emploie, dans le langage courant, l’expression complexe d’infériorité pour désigner le sentiment éprouvé. Cette imprécision de vocabulaire doit être dénoncée. Le complexe, comme tel, est, en effet, au-delà du senti; il se caractérise par son inconscience; il est une structure et ne peut être atteint qu’à travers ses manifestations. Le sentiment d’infériorité exprimerait alors l’existence de la tension qui existe entre le moi et le surmoi. De ce fait, il se rapprocherait du sentiment de culpabilité. D. Lagache («La Psychanalyse et la structure de la personnalité», in La Psychanalyse , vol. VI, 1961) estime que le sentiment de culpabilité dépend du «système surmoi-idéal du moi», tandis que le sentiment d’infériorité se rattache au moi-idéal: «Les sentiments de culpabilité et les sentiments d’infériorité ne mettent pas en cause les mêmes aspects de la personne: dans le premier cas, le sujet souffre de n’être pas conforme à l’idéal du moi, pour autant que l’attente des autres est devenue sa propre attente; dans les sentiments d’infériorité, c’est à sa propre attente que le sujet souffre de ne pas répondre; son conformisme à l’idéal du moi peut être ressenti comme une infériorité. Ainsi, tel homme en voie d’émancipation se reproche tour à tour ses relations avec des prostituées, en opposition avec ses principes moraux, et son incapacité de se dégager de ces principes moraux, d’affirmer «ses droits naturels». L’obéissance passive à la loi sociale et morale peut être ressentie comme une faute, par référence à un code de valeurs qui n’est plus celui du surmoi mais du moi idéal.»Enfin, d’un point de vue clinique, l’importance des sentiments de culpabilité et des sentiments d’infériorité a souvent été soulignée. Ainsi, F. Pasche a-t-il essayé d’isoler une «dépression d’infériorité» typique («De la dépression», in Revue française de psychanalyse , t. XXVII, nos 2-3, 1963), qu’il définit «par la dévalorisation de soi-même, l’autodépréciation douloureuse. [... Cette dépression] est dépourvue d’idée consciente de culpabilité: on est incapable de faire le mal, car l’on est incapable de faire quoi que ce soit [...]. C’est un sentiment de carence, d’insuffisance, d’impuissance [...]. Le déprimé se sent laid, pauvre, débile physiquement, moralement ou intellectuellement. Cela porte en apparence sur l’avoir : beauté, richesse, force, acuité des sens, savoir, et sur le faire : agilité, habileté, compétence, efficience, compréhension, créativité.» En réalité, le déprimé souffre de n’être pas à plein. Et l’auteur rattache cette dépression à une structure mégalomaniaque de l’idéal du moi. Si le sujet est déprimé, c’est qu’il obéit à un impératif absolu de perfection, celle-ci lui apparaissant comme impossible à atteindre.
Encyclopédie Universelle. 2012.